Yvonne Stagg et le Mur de la Mort

Yvonne Stagg et le Mur de la Mort

Avec son matelas d’eau en forme de cœur, ses bottes en cuir blanc et une vie amoureuse tumultueuse, Yvonne Stagg avait tout le glamour d’une starlette des sixties. Mais, à cette époque, sa prétention à la célébrité se situait dans une branche beaucoup plus dangereuse du show business, le spectacle forain connu sous le nom de Mur de la Mort. Ce dernier implique de piloter une moto à l’intérieur de ce qui équivaut à un gigantesque tonneau en bois, certains atteignant plus de 5 mètres de haut et 10 mètres de diamètre, avec seulement la force centrifuge et des nerfs d’acier pour se sauvegarder d’un plongeon qui vous briserait les os.

Pour les spectateurs regardant l’action du haut d’une plateforme autour du sommet, il y avait un incontestable frisson dans le spectacle d’une belle blondinette qui voyageait à une vitesse défiant la mort à l’intérieur du tonneau. Et Yvonne était, dans les faits, beaucoup plus qu’une jolie acolyte pour les hommes. Éduquée dans un couvent et ancienne prospectrice de diamant, elle a marqué l’histoire de ce divertissement en étant la première et la seule femme au Royaume-Uni à avoir eu son propre Mur de la Mort.

C’était avant qu’elle ne soit impliquée dans un triangle amoureux meurtrier qui scandalisa la Grande-Bretagne dans les années soixante-dix.

Kursaal Southend-on-Sea Essex
Kursaal Southend-on-Sea Essex

Le Mur de la Mort, originaire des États-Unis, est arrivé au Royaume-Uni dans les années vingt grâce à un showman excentrique nommé George « Tornado » Smith, dont le Mur est devenu un incontournable du parc d’attractions Kursaal à Southend-on-Sea dans l’Essex. Dans ses spectacles, il était souvent accompagné de son animal de compagnie, une lionne nommée Briton, qui montait sur le guidon de sa moto comme un ourson. Quand elle a grossi, elle prit place dans un side-car.

En 1951, lorsque le gouvernement tentait de remonter le moral dans l’après-guerre avec le Festival of Britain, il était presque inévitable que la fête foraine construite au Battersea Park de Londres dans le cadre des célébrations comprendrait son propre Mur de la Mort. C’est là qu’Yvonne Stagg est tombé amoureuse de cette attraction des plus dangereuses.

À 16 ans, elle était élevée à Sittingbourne dans le Kent par sa mère Doris, un parent très peu conventionnel. Son père était mort quand elle avait quatre ans.

Grand-mère était un vrai caractère, se souvient la fille d’Yvonne, Minka Kokos. Elle ressemblait à une combinaison d’Elizabeth Taylor et Joan Collins, avec des cheveux noirs, des yeux verts perçants et d’énormes seins.

Elle portait des manteaux de fourrure et son parfum préféré était Youth Dew par Yves Saint Laurent. Elle en vaporisait tellement que lorsque vous entriez dans la pièce cela vous prenait à la gorge.

Si la tranquille Sittingbourne a été surprise par l’apparition de cette créature exotique en son sein, elle fut indignée quand Doris a succédé comme nouvelle propriétaire d’une boîte de nuit locale. Elle l’a transformée en une populaire scène de jazz mais il y avait des rumeurs selon lesquelles elle était également en cause dans la mauvaise réputation des lieux.

Quelle que soit la vérité sur les intérêts commerciaux de sa mère, Yvonne était clairement malheureuse à la maison et les religieuses de son école devaient être déçues si elles avaient espéré la recruter dans leur fraternité. En quittant l’école dès qu’elle a pu, elle a trouvé du travail en tant que secrétaire à Londres. Cet inattendu et respectable choix de carrière était peut-être une réaction contre son éducation chaotique.

Cependant, elle aspire clairement à quelque chose de plus que la vie de bureau et bientôt prend un emploi de vendeuse de barbe à papa à la fête foraine de Battersea. En se promenant avec un plateau de confiserie pendu à son cou, elle se trouva à plusieurs reprises attirée par le Mur de la Mort.

Je ne pense pas qu’elle soit jamais monté sur une moto avant mais c’était une dame très déterminée et elle a continué à les harceler pour lui laisser essayer, dit Minka.

Yvonne apprenait très vite, puisqu’au bout de six mois, elle faisait partie d’un spectacle en tournée en Europe, puis elle a commencé à travailler pour Tornado Smith au Kursaal, en accélérant jusqu’à environ 100 kilomètres à l’heure et en perfectionnant sa pratique avec le pilotage en mains-libres, en amazone sur le côté de la selle et même assise à l’envers sur la moto (1).

Quelques années plus tard, sa vie a pris une tournure bizarre, grâce à Peter Catchpole, qui était un autre pilote de Smith. Il possédait un mur à New Brighton dans le Merseyside qui a attiré d’une manière ou d’une autre l’attention des représentants du gouvernement nigérian. Ils l’ont invité à l’apporter dans leur capitale, Lagos, dans le cadre des célébrations de l’indépendance de leur pays en 1960. Yvonne a rejoint Catchpole dans ce voyage en Afrique de l’Ouest où il a décidé d’inclure également une visite en Sierra Leone. Quand le mur a échoué à attirer les foules là-bas, Yvonne et deux autres artistes du spectacle sont restés sans argent pour acheter les billets d’avion de retour. Imperturbables, ils ont eu l’idée d’utiliser le générateur du spectacle pour entraîner une pompe à vide, avec laquelle ils ont filtré le limon des lits de rivière dans l’espoir de trouver des diamants. Il est vite devenu clair que ce serait en vain mais Yvonne a finalement trouvé l’argent pour rentrer à la maison où elle a commencé à attirer de grandes foules de retour au Kursaal.

Kursaal Southend-on-Sea Essex
Kursaal Southend-on-Sea Essex

En 1965, Tornado Smith a mis son mur en vente et elle avait gagné assez d’argent pour lui racheter. Au cours des années suivantes, les choses semblaient aller bien pour Yvonne dont l’allure et les commentaires firent d’elle la favorite des journalistes et lui permirent de remporter un contrat de publicité lucratif avec le fournisseur d’huile Castrol. Elle semblait aussi satisfaite dans sa vie personnelle, en épousant Gustav Kokos, un pilote qu’elle avait rencontré en Allemagne. Mais elle a clairement indiqué que la maternité n’entraverait jamais sa carrière et qu’elle continuerait à faire des spectacles jusqu’au jour où elle a donné naissance à Minka en 1968.

Je ne me vois pas comme une femme au foyer, à la maison toute la journée, avec les enfants qui traînent sous mon tablier, dit-elle à la presse de l’époque.

Dreamland Margate Kent
Dreamland Margate Kent

Ce refus de succomber à la vie domestique fut à l’origine de la tragédie qui l’attend. Lorsque le Kursaal ferme ses portes en 1974, Yvonne installe son mur à Dreamland (2) où elle assure la couverture des journaux en arrimant sa fille de six ans à son guidon et en pilotant à l’intérieur du mur avec Minka à son bord.

Je l’aimais, se souvient Minka. Pour moi, c’était juste un autre tour de fête foraine et quand vous avez cet âge, vous n’avez pas conscience que cela pourrait être dangereux.

Comme toujours, la presse aimait Yvonne pour cette flamboyance.

Selon Jerry DeRoy, qui pilotait souvent avec Yvonne, elle était une extravagante dépensière qui se faisait remarquer avec des achats tels que les matelas d’eau et les bottes blanches de marque ornées de pois noirs. Portant ses chihuahuas, Pepe et Chew-Chew, partout où elle allait, elle semblait l’image de l’impresario réussie mais elle a fait une terrible erreur en prenant pour amant un Irlandais du nom de Terry Biebuyck. Lorsque son mari l’a découvert, il a affronté son rival et, lors d’une rixe alcoolisée, Biebuyck l’a poignardé à mort. Biebuyck a pris trois ans pour homicide involontaire et Yvonne a promis de l’attendre. Mais alors elle s’est mise à boire beaucoup, selon Allan Ford, qui a travaillé avec Yvonne et a écrit à son sujet dans son livre Riding The Wall Of Death (3).

Elle a commencé à perdre les pédales, dit-il. Nous devions faire le spectacle ensemble mais la moitié du temps elle avait un empêchement et je devais assurer tout seul.

Quand elle faisait une apparition, elle était parfois ivre et elle tombait de la bécane et c’était à moi d’essayer de faire bonne figure.

Une nuit, embrouillée par la boisson, Yvonne a percuté sa voiture dans un pont de chemin de fer et s’est cassé un poignet, la jambe et plusieurs côtes. Son absence prolongée des spectacles pendant plusieurs mois n’aide pas à la vente des billets, déjà en baisse car les vacanciers britanniques ont abandonné Margate et les autres villes balnéaires pour des vacances à l’étranger, et elle doit faire face à des dettes croissantes.

Elle a finalement été convaincu de vendre son spectacle à Peter Catchpole, l’organisateur du voyage malheureux en Afrique. Il avait prévu de le prendre pour l’Australie et a promis qu’elle pourrait aller avec lui pour vendre les billets du spectacle et se construire une nouvelle vie. Quand il a réalisé ce qu’elle était devenue – une alcoolique solitaire qui approchait 40 ans et avait perdu l’éclat de ses jours de gloire – il a retiré l’offre d’emploi et, réalisant que son Mur de la Mort maintenant ne lui appartenait plus, Yvonne a perdu tout espoir.

Elle a succombé à une overdose au cours de la nouvelle année de 1976-1977. Entouré par des bouteilles de pilules vides et gardé par ses chihuahuas, son corps n’a pas été découvert avant plusieurs jours. Ce fut une fin solitaire pour une femme qui avait été le chouchou des foules à travers le monde mais son esprit aventureux vit à travers sa fille qui travaille actuellement avec la BBC pour un documentaire sur la vie d’Yvonne.

Traduction de « First lady of the Wall of Death: Extraordinary story of the blonde convent girl whose motorbike stunts held seaside crowds spellbound – and the murderous love triangle that destroyed her » par David Leafe pour The Daily Mail du 2 juillet 2015

Crédits Photos ©Alamy/Keystone


Notes
(1) Les motos pilotées par Yvonne Stagg et son équipe semblent être des BSA A7 500cc d’avant 1951 avec un cadre rigide.
(2) Dreamland est un parc d’attractions situé dans la station balnéaire de la ville de Margate, dans le Kent, en Angleterre. (Source : Wikipédia)
(3) Ford, Allan, and Corble, Nick, Riding the Wall of Death, 2006, Tempus Publishing.


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